De l'érotisme...

Bonsoir à toutes !

Je me questionne pas mal sur la place de l'érotisme dans l'art, dans la société, et surtout dans le féminisme. Je suis anti pornographie, pour les raisons que l'on connaît ( il faut en faire un post, d'ailleurs ), mais je suis sensible à l'érotisme, aux lectures ( poèmes, romans, etc ), aux photographies, aux dessins et peintures érotiques... Là où je trouve la pornographie crue, brutale, misogyne, anti sexe même, elle ne "m'excite" pas, je suis très troublée et bouleversée par certains textes, certaines images montrant le sexe, d'une belle façon... Je me demande s'il est possible que les représentations érotiques soient "feministement correctes"? Qu'en pensez-vous ? Ont-elles une portée militante?

Bonne soirée !

Merci beaucoup pour ce sujet, je trouve qu'on en parle peut-être pas assez, alors que c'est vraiment important de montrer qu'il existe une alternative au porno.
Je fais également la distinction entre l'érotique et la pornographie, je pense que la manière de représenter le corps y est pour beaucoup. En ce qui me concerne, je suis persuadée que le regard masculin, par la socialisation, fait toujours du corps femelle un objet de désir. Je crois que l'approche des femmes entre elles est très différente de ce point de vue là, il y a vraiment une volonté du côté des artistes femmes (en particuliers féministes et/ou lesbiennes) de montrer le corps tel qu'il est, de donner une autre vision qui soit destinée aux femmes. En général, on est plus dans une démarche qui relève de l'acceptation du corps, des désirs, de s'affranchir des normes genrées et des limites qu'on impose aux femmes. Il y a aussi eu pas mal d'artistes qui ont tenté de ramener la réalité du corps des femmes aux grandes déesses, je trouve que c'est vraiment intéressant comme approche.

Après, ce n'est pas vrai de toutes les femmes, je pense notamment à Lucie Delarue-Mardrus, qui était lesbienne et en couple avec Natalie Barney (l'amante de Renée Vivien, "Sappho 1900"). Elle a écrit de nombreux poèmes érotiques dédiés à Natalie qui sont regroupés dans le recueil "Nos secrètes amours". J'ai étudié son oeuvre dans le cadre d'un cours sur le genre et les représentations du genre (la "subversion") avec une étudiante en master qui rédigeait son mémoire sur elle, et je dois dire qu'on y retrouve une angoisse, une détestation de soi qui m'ont fait réaliser l'internalisation des valeurs et des représentations patriarcales. En fait, je suis persuadée que son oeuvre est symptomatique de ce que le patriarcat fait aux femmes. Je crois qu'en tant que féministes étudier son oeuvre pourrait nous aider à voir ce qui cloche dans les représentations érotiques et dans la sexualité en général : ses écrits sont violents car on sent bien qu'elle n'assumait pas d'être une femme lesbienne et qu'elle avait internalisé la polarisation des rôles, elle voulait se faire homme avec son amante... Son oeuvre est bouleversante et témoigne d'un mal-être profond. Etant moi-même lesbienne, je m'intéresse beaucoup au sujet, je trouve que la seconde vague était merveilleuse pour ça : on cherchait vraiment une alternative à la vision masculine de l'érotisme.

Oui il y a clairement une différenciation à faire. L'érotisme c'est la suggestion, la sensualité des corps, le plus souvent figés et, d'une certaine manière, sublimés à travers l'art. Peu de chose à voir donc avec la chosification des corps humains en tant qu'objets bruts, mécaniques, dénués de toute humanité tel que la pornographie le montre, en nous montrant tout, en détail, ne laissant plus aucune place au mystère et à l'inconnu. Dans l'érotisme au contraire il existe une forme de poésie, de délicatesse, nous faisons davantage appel à notre imagination et à nos propres sentiments. En définitif en lisant ou en regardant quelque chose qui touche à l'intime de manière subtile cela s'apparente davantage aux papillons que l'on ressent en tombant amoureux, là où le porno exploite le simple désir et le dépouille de tout sentimentalisme, pire, il en fait le terrain des pires fantasmes misogynes. L'érotisme peut tout à fait être correct du point de vue féministe, et comme dit plus haut les féministes ont prit part très justement à la création de ces oeuvres.

Les écrits de Lucie Delarue-Mardrus à Natalie Barney m'intrigue assez, du fait de l'époque de leur écriture notamment, mais je pense que ça attendra quelques années avant de m'y mettre du coup, parce que je n'ai pas envie de lire quelque chose de l'ordre de la difficulté de s'assumer en tant qu'homo quand moi-même je vis la même chose. (à un degré moindre j'imagine^^)