Genre : définition et analyse

Bonsoir !

Je me permets de lancer une discussion sur la notion de "genre", qui est centrale mais que je ne maîtrise pas bien.

J'ai lu Le Deuxième Sexe il y a quelques années, et si j'ai bien compris, Simone de Beauvoir fait la différence entre le sexe (biologique) et le genre (qui est une donnée construite dans un contexte social).

J'ai l'impression que Bourdieu, dans La Domination Masculine, reprend cette même définition.

Est-ce que vous sauriez me dire si d'autres théoriciens ont des définitions différentes ?

Je n'ai jamais lu Judith Butler mais je sais qu'elle a beaucoup écrit là-dessus, est-ce qu'elle apporte de nouveaux éléments au concept ?

Et enfin, est-ce qu'il existe aujourd'hui des approches et des définitions du genre qui divergent, voire s'opposent entre les différents courants du féminisme aujourd'hui ? (opposition entre féminisme libéral et radical par exemple)

Merci de votre aide

Je fais moi aussi une distinction claire entre genre et sexe. Le genre, c'est une construction sociale, un outil d'oppression, qui sert encore aujourd'hui à justifier le sexisme ( les femmes sont "naturellement soumises et douces", elles aiment le rose et les talons, etc ). Je ne vois aucun intérêt pour les femmes en tant que classe à continuer de créer des cases genrées comme s'obstine à le faire les libéraux. La solution, pour moi, c'est de détruire complètement cette notion. Une femme, ce n'est pas un genre, ce n'est pas la féminité et l'amour du rose et du maquillage, c'est une réalité biologique, point barre. Je soutiens l'idée, et la science également, que le cerveau n'a pas de sexe. Chacun, chacune peut devenir ce qu'il ou elle veut. Un homme peut porter des robes, aimer le rose, et rester un homme. Une femme peut aimer la mécanique et le foot et rester une femme. Ce n'est absolument pas progressiste que de nous proposer des centaines de cases ( " genderfluid ", " bigender ", " non binaire ", etc etc ).

Les personnes trans existent, bien entendu, la dysphorie existe et la transition fait partie des traitements possibles pour la soulager, mais je suis convaincue que le trans activisme et le féminisme libéral ont beaucoup nui à leurs revendications. D'ailleurs, les personnes trans qui ne sont pas d'accord avec eux sont surnommés " truscum ", un nom particulièrement insultant...

Mais je pense comme Chimamanda Ngozie Adichie : une femme trans est.. une femme trans. Je suis née fille, dans un corps totalement différent du sien. Je vis le sexisme depuis ma naissance, dans ma chair, elle et moi, nous sommes différentes, et je ne vois pas en quoi cela est haineux de le dire. C'est le cas. Je n'ai jamais eu de privilège masculin. Et je pense qu'il est plus que nécessaire d'affirmer notre besoin d'espaces pour femmes, d'un féminisme centré sur les femmes.

OK ! Donc si je comprends bien, il y a deux conceptions différentes du genre :

- le genre comme "identité", qu'on peut s'approprier ou pas (on "est" naturellement, essentiellement, fille, garçon, ou, quand on ne se reconnaît pas dans l'un ou dans l'autre "genderqueer", "genderfluid", non-binary", etc.)

- le genre comme expression d'une hiérarchie sociétale fondée sur une différenciation biologique (sexe masculin / sexe féminin)

C'est bien ça ?

Donc est-ce que vous diriez que c'est un peu une reprise de l'opposition entre existentialisme et essentialisme ? (Je retrouve Beauvoir du coup : "on ne naît pas femme, on le devient" (AKA : on m'impose des rôles de genres dans une société sexiste) VS "j'ai un genre, inné, que je vais retrouver et nommer"

Oui, il y de ça. Les féministes 3eme vague ( liberales ) voit le genre comme quelque chose de fun, sans danger , que l'on peut totalement s'approprier. Elles pensent que tout est lié à l'individu et à ses choix, elles ne pensent pas en termes globaux, en termes de classe. Enfin c'est tout le problème du libéralisme, l'individu est tout puissant, l'analyse est forcément tronquée et incorrecte. Elles n'admettent pas que le genre féminin est quelque chose d'imposé aux filles dès la naissance, et que c'est un outil d'oppression. Pour elles, la biologie n'a aucun lien envers la misogynie. Alors que pour moi, pour le féminisme radical et matérialiste, qui s'attaque aux racines de l'oppression, c'est bien notre biologie, la réalité de nos corps de femmes, qui fait que nous sommes opprimées.

Oui, j'y vois clairement une opposition entre existentialisme et essentialisme... Et j'approuve bien sûr Beauvoir ( et Betty Friedan, l'auteur de "The Feminine Mystique", les deux expliquent très bien comment est né le mythe féminin, la féminité, et comment elle a été imposée aux femmes au fil des époques ). Les libéraux sont profondément essentialistes, puisqu'ils croient à la théorie fausse et misogyne du " sexe dans le cerveau ".

Le genre n'est pas inné, ni naturel, il est construit, imposé, appris. Et tant que l'on ne cherchera pas à détruire l'idée que le cerveau a un sexe, le mouvement féministe n'avancera pas, j'en suis convaincue.

Je pense que ce petit graphique résume assez bien la pensée radfem sur le genre :

Spoiler:

Je suis d'accord avec ce qui a été dit, et le graphique résume assez bien la conception du genre.
En revanche, je ne crois pas que j'utiliserai le terme "existentialiste", étant donné que l'existentialisme est très individualiste... Je préfère utiliser "matérialiste" pour parler de l'analyse du genre, c'est notamment le terme qu'utilise Christine Delphy.

Bonsoir !

Est-ce que je peux te demander ce que tu veux dire quand tu dis que l'existentialisme est individualiste ? Je ne suis pas vraiment calée en philo ^^
Où est-ce que Christine Delphy utilise le terme de "matérialiste" ? Qu'est-ce qu'elle entend par là ?

Merci de ton aide !

Bien sûr, aucun soucis ! ^x^
L'existentialisme est principalement basé autour de l'idée que l'homme est condamné à être libre, que l'existence précède l'essence, c'est-à-dire qu'il n'y aucun déterminisme et que nous pouvons toujours agir. Hors je trouve que ça ne colle pas tellement avec l'analyse de classes :/
Après ce n'est que mon point de vue !

En ce qui concerne le matérialisme, c'est une adaptation féministe du marxisme. En fait, ça correspond à la seconde vague féministe en France avec le MLF (Mouvement de Libération des Femmes). Christine Delphy a notamment écrit des livres concernant la production domestique. Elle a également rédigé la préface de la traduction québécoise de "Right-Wing Woman" (Les Femmes de Droite) de Dworkin, ainsi que L'ennemi Principal.
J'espère avoir pu t'aider !

Oui merci ! ça me donne une bonne motivation pour lire "Right-Wing Woman", d'autant que je n'ai jamais lu Dworkin. Je vais commencer par là ! ^^

Je t'en prie ^x^
Ca me fait plaisir ! Je te conseille aussi Intercourse (Dworkin), il y a énormément de choses sur le genre, la sexualité et la pornographie, c'est absolument formidable !

Tout à fait d'accord avec les suggestions de lecture de Sappho1900